L’Italie seuleLettre d’Italie, n. 1


L’Italie seule
Lettre d’Italie, n. 1


GIUSEPPE SACCO




L’Italie, une masse anarchique où la civilisation, l’humanité, tantôt sombrent tantôt se sauvent en se frayant des voies secrètes

Daniel Halévy, Décadence de la liberté

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Six semaines après une session électorale qui a ébranlé les fondements mêmes du système politique italien tel qu’il a été, malgré des hauts et des bas, depuis l’après-guerre, rien – ni le résultat en soi même, ni le feu croisé entre les partis qui a fait suite – ne permet pas encore de dire quel sera l’impact structurel de cet évènement sur le sort de la République italienne. D’autant plus que rien ne garantit que la situation ne connaisse des nouveaux rebondissements ; au contraire. Mais, par delà les changements des équilibres quantitatifs entre mouvements et partis politiques – deux faits inquiétants sont déjà acquis.

La première donne est qu’un électeur sur trois (32,2%) a choisi un mouvement – les Cinq Etoiles – qui avait proposé de tenir un référendum sur la sortie de l’Italie de l’Euro (même s’il semble maintenant faire marche arrière), mais qu’à part cela n’a pas de vraie identité politique, en puisant sa force électorale de la vague ouvertement antipolitique qui secoue de plus en plus violemment la Péninsule depuis bientôt 25 ans.

La seconde donne – encore plus significative – est qu’une force comme la Ligue a plus que quadruplé ses voix (d’environs 4 à 17,2%), devenant ainsi la composante la plus forte de la coalition de centre-droit. Or, la Ligue – jusqu’à hier séparatiste, parfois meme nostalgique des Habsbourg, et encore assez ambigüe lorsque elle court, au niveau local, sous le nom de « Ligue Nord » – se présente aujourd’hui comme nationaliste et ouvertement souverainiste. Et dispose d’un leader capable, qui a rapidement pris le devant de la scène.

Le succès de ces deux mouvements était assez attendu, et a permis de mesurer la température de l’opinion publique italienne – une température qui montre un degré extrême de mécontentement, auquel il sera cependant difficile de répondre en partant des résultats du 4 Mars. Car la nouvelle composition du Senat et de la Chambre des Députés, où les forces qui veulent casser avec le passé occupent la moitié de places, si elle montre clairement qui est sorti perdant du match électoral, ne permet au contraire pas, ni de dire qui a gagné, ni de tracer un profil précis du Mouvement Cinq Etoiles, qui est sorti des urnes comme la principale force politique de la Nation.

Les autres deux faits dont on a rapidement du prendre acte – que la gestation du nouveau gouvernement va être difficile et probablement destinée à prendre beaucoup de temps, et que toute coalition possible est condamnée à n’être que le fruit d’un compromis probablement provisoire et instable – n’apparaissent pas, au lendemain du vote, comme vraiment graves. La société italienne est assez forte pour vivre avec des situations de ce type.

Ce qui semble devoir retenir l’attention est plutôt qu’à partir du 4 mars la Péninsule est entrée dans une nouvelle phase de son histoire contemporaine, une phase qui pourrait tout d’abord impliquer un nouvel tour d’élections législatives avant les européennes de 2019. Ce sera une phase qui pourrait – peut-être – l’éloigner de l’Europe, mais pendant laquelle les changements des équilibres politiques à Rome auront des conséquences inévitables hors la Péninsule, aussi bien au niveau européen que transatlantique. Mais surtout une phase où elle sera toute seule dans la recherche d’une voie encore secrète par laquelle se frayer son chemin.

Rome 11 Avril 2018 (à suivre)

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